Te raconter enfin qu'il faut aimer la vie.
Et l'aimer même si, le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants..
Vendredi matin, les yeux brouillés, à peine reveillée. Fenêtre donnant sur l'horreur.
Je pensais qu'on était pas seuls. Je pensais que face à ça, il y aurait eu des réactions, même timides, même inaudibles. Mais non. Rien. Et quand j'entends cet enfoiré de Texan déblaterer son discours résigné de consommateur qui s'assume, j'ai la peau qui se met à trembler. Je regarde derrière moi et je les vois. Une generation entière, la mienne, vidée d'espoir et de conviction, avachie sur son fauteuil. Certains ont dormi, certains ont ronflé. Les gens ne veulent pas savoir. Les gens ne veulent pas y croire. L'horreur ne connait pas de problème d'integration, l'horreur est acceptée comme faisant partie integrante de la vie. Et personne n'a envie que ça change. Je veux dire, vraiment envie.
Alors oui, j'ai peur. Parce que je ne savais pas. Et lui aussi, il a tremblé, je l'ai vu. Mais voilà. Ce tremblement, et cette peur partagée, ça me rassure. L'entendre dire qu'il y crois, que les choses se font petit à petit, que rien n'est impossible. L'entendre dire ce que je devais imperativement entendre : Ne soyez pas raisonnables. Mettez vous en colère. Avant d'être graphistes, designers, ou pseudo artistes, vous êtes humains. Je ne veux pas que vous soyez raisonnables.. S'en suit un silence de plomb, façonné par une armée de zombie bienheureux. Et moi, tout à coup, j'ai vraiment trés froid.
Je sors de là militante mi-tremblante. Avec comme quelque chose d'étrange qui pousse au fond du ventre. La rage, je crois. Alors je rejoins Keeps, qui tremble elle aussi depuis quelques jours, et je vois bien que dans son ventre à elle, ça pousse exactement pareil. La rage est un drôle de vegetal, ça pousse lentement, et il faut l'arroser, l'arroser de larmes, pour la faire fleurir. On m'a souvent dit que j'étais trop utopiste, on m'a souvent demandé de revenir sur Terre. J'y repense et j'ai envie de vous rire à la gueule. Vous ne voulez rien savoir, vous fermez les yeux, vous regardez la vie à travers une porte entre ouverte, comme un film d'horreur, vous êtes rois de l'auto-censure, vous refusez de regarder le mal droit dans les yeux, et vous m'ordonnez de garder les pieds sur Terre? Qu'on se mette d'accord : J'ai inventé des mondes, des gens, des histoires, j'ai des rêves qui font cent fois ma taille et des secrets gros comme le monde, mais jamais, jamais je n'ai fermé les yeux face au réel. Jamais je n'ai craché sur la verité, aussi sombre soit-elle, jamais je n'ai voulu passer à côté. Alors la fleur de rage se met à pousser, pousser..
You may say I'm a dreamer. But I'm not the only one..
Keeps m'apprend à distinguer le recyclable du reste, et sans trop savoir pourquoi, je me met à fouiller les poubelles pour y faire le tri. Penchées là, au dessus du sac, au dessus du sac jaune, tout ce que je peux dire, c'est que j'ai ri, et que j'étais bien. A ce moment précis, il ne faut absolument pas se poser de question. Ne pas se demander pourquoi on fait ça, ne pas se demander pour qui. Simplement le faire. Pas parce que c'est un devoir, simplement parce que c'est une envie; Et encore, même pas pour ça. Simplement, c'est comme quand on apprend un texte par coeur, et qu'on se met à le réciter de façon chronique, en faisant la vaisselle ou en prenant sa douche. Ce sont des choses qui ont un but qu'on est jamais sur d'atteindre, mais on les fait, parce que ça ne coute rien et qu'il est probable que ça rapporte quelque chose. Et cela suffit, cela devrait suffire.
Maël n'a pas changé, le regard noir et espiegle, le sourire bien accroché. Les promesses d'il y a des années ont étées tenues hier soir, et c'était étonnament bon. Le vieux Renard est entré sur scène dans un costume qui ne lui donne absolument pas l'air serieux, et j'ai sentie la fleur pousser encore un peu, me chatouiller le ventre. On avait enfilé nos cuirs pour l'occasion, et les yeux de Maël ont rarement brillé comme ce soir. Le Renard est un magicien, la colombe s'est posé sur sa main, sans peur. Et je me suis sentie bien. Je me suis sentie rassuré, je me suis sentie moins seule, en l'entendant chanter l'Hexagone avec la même rage qu'il y a des années. J'ai posé ma tête sur l'épaule de l'ami Pierrö, contente d'avoir enfin un instant qui m'appartient, un morceau de vie qui est le mien et qui n'est pas celui des autres. J'ai senti le vent fouetter mon visage, entendu la mer qui chantait, vu les vagues danser, en fermant les yeux, parce que c'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme, moi la mer elle m'a pris comme on prend un taxi.
A qui que ce soit que je m'agresse, j'veux vous remuer dans vos fauteuils. Puisque de toutes façons, je suis une bande jeunes à moi toute seule. Je suis une bande de jeune, et je m'fends la gueule.
♪Renaud : La chambre à titi.