Can you hear me..?
Il y a la piraterie, mes pupilles qui petillent, mes envies d'océan.
Et puis il y a le reste. C'est toujours pareil, le telephone sonne alors on le cherche de la main dans sa poche, on décroche, allo? Et la nouvelle tombe comme une enclume. Anthony est mort.
C'est toujours pareil, si on était en train de marcher on s'arrète, si on était en train de boire on s'étouffe, si on était en train de rêver on se reveille.
Je suis en colère aprés cette pute de vie, il y a un problème.
Quand j'étais petite on me disait qu'avec de l'imagination, on pouvait aller loin dans la vie. Je constate qu'on m'a menti.
Des années entières à y croire, des années entières à se concentrer, à donner tout ce qu'on a, à se sacrifier corps et âme pour la construction d'un monde qui ne verra jamais le jour et qui ne me mène nulle-part. On ne paye pas de loyer avec l'imagination, on ne fait pas la vaisselle, on ne remplie pas le frigo, et on ne réssucite pas les morts.
Passer sa vie à interpreter chaque signe, chaque détail, à essayer de créer des liens entre les evenements, et s'y perdre. Tenter de ronger, jour aprés jour, la frontière qui sépare le possible de l'impossible, être persuadée au plus profond de soit que quelque chose va arriver, être persuadée que si on se concentre encore et encore, la glace se brisera.
Anthony est mort. Comme d'autres avant lui, et comme nous aprés lui, m'obligeant à parler de lui au passé alors que je n'ai jamais eu le temps d'en parler au présent. Maman me dit d'une voix tremblante, qu'elle a fait ce rêve cette nuit là, ce rêve étrange qui.. Stop. Ca suffit. Pourquoi? Qu'est-ce qu'il faut faire, qu'est-ce qu'il faut croire, hein? Des signes, des clins d'oeil du destin c'est ça? La vie aurait donc prit la peine de venir nous prevenir que sa copine la mort allait passer dans le coin, c'est ça qu'il faut croire? Il y a tout qui se mélange, arrète, arrète de croire qu'en dehors du réel y'a encore du réel, ça ne marche plus, je..
Je me souviens de ce chat blanc allongé sur la route, les yeux grands ouverts, oh il est trop mignon. Mort. Est-ce que c'est un jeu? Je ne trouve pas ça drole. Pourquoi est-ce qu'on nous donne des morceaux d'espoir si c'est pour.. Tous ces trucs étranges, l'instinct, le hasard, le destin, c'est trop flou, ou s'arrète le réel? Je repense à Skiffy et à Obra, à l'etrange sensation qui envahissait ma main lorsque l'un ou l'autre la possedait. Immateriels et pourtant.. Il faut qu'on m'aide. Je creuse des galeries dans ma cervelle, je creuse avec les ongles, et j'ai besoin de savoir. Milo dit qu'il est désolé, qu'il ne voulait pas, et moi j'ai envie de taper sur sa tête de mensonge, à grands coups de marteau, menteurs, menteurs, menteurs. J'ai envie de tout effacer, les boyaux qui se tordent, je ne sais plus me retenir.
Je deverse des rivières entières de larmes en serrant le corps de mon Ile contre le mien, le réel me déçoit tellement que je n'ai plus envie d'en faire partie, et je..
Anthony est mort. Bordel de merde, ça ne tient pas debout. S'il avait le papier dans la poche c'est qu'il a réussi à les grimper, les six étages, pourquoi est-ce qu'il aurait prit le risque de redescendre, ça n'a pas de sens, comment vous pouvez vous contenter d'une explication aussi vaseuse que celle-là? Il n'était pas stupide d'accord, il avait mon âge et il n'était pas stupide, il l'était moins que moi en tous cas, ça n'a jamais été un modèle pour personne, peut-être, mais il savait lui, il savait à quel point le réel était cruel, pourri de l'interieur, et il..
Son corps gisant sur le trottoir, je l'imagine, je l'imagine trés bien parce que je connais ce trottoir par coeur, je saurais même vous dire ou sont placés les differentes taches de chewing-gum qui en constellent le bitume, je peux trés bien l'imaginer, mais je ne peux rien faire d'autre. Les lucioles et les violons, ça ne marche qu'à Mille-Pourpre, et j'en crève.
Sacrifier tous ses rêves, sacrifier son sommeil pour un seul et même monde, une seule et même envie, passer toutes ses nuits à se battre, tout ça pour s'écrouler au premier coup de poing réel, et fondre en larme dans une ruelle sombre. Menteurs, menteurs, menteurs. Ca ne sert à rien. Ca ne sert à rien mais c'est trop tard..
On ne peut plus s'arreter, personne. On ne peut pas décider, comme ça, "de ne plus y croire".
L'inconscient fait son travail, il continue d'additioner les chiffres des plaques d'immatriculations et de chercher des formes dans les nuages. Je me souviens de ce type et de son discours insensé, je me souviens de ses yeux vitreux qui racontait Mille-Pourpre en mélangeant tout. Je me souviens de tous ces hasards et vous aussi, vous ne pouvez pas faire autrement, vous les avez remarqué, les petites choses étranges.
Comme l'impression de frôler la folie de trop prés, comme l'impression que mon crâne n'est pas tout à fait pret pour supporter tout ça. Envie de comprendre, sentir la fragile densité du corps et de l'esprit qui se séparent. La regarder elle, se dire que ça ira, sa main dans la mienne et ses yeux sur ma nuque. Serrer le poing trés fort et chercher le sommeil, comme chaque soir, pour se reveiller a 14h du matin, dans le flou de notre tendresse clandestine.
J'ai encore des millions de choses à dire, de questions à poser, j'ai encore mille raisons d'en vouloir au réel et à son contraire. "C'est l'avant-mort, chérie" dirait-il. Et moi je me demanderais qu'est-ce qui me gène le plus dans sa phrase : est-ce que c'est le terme "avant-mort", ou bien simplement sa voix monocorde qui m'appelle Chérie comme si c'était pas grave?
Je voudrais repartir à zéro, et si possible avec un bateau. Si je ferme les yeux, est-ce que c'est pire? Je sais que je suis mal placée pour parler de justice, mais j'aimerais bien que ce genre de nouvelles cesse de me tomber dessus aussi rapidement. J'aimerais bien. Respirer. Fatiguée de parler, fatiguée de me taire, quand la moitié du monde en assassine un tiers. Je voudrais le silence, enfin, et puis le vent. Anthony je t'en pris, racontes moi le néant.
La seule conséquence réelle de tout ça, c'est que je voulais acheter du roux, et que finalement j'ai volé du noir.