Touille ton cafard.
Petite cuillère tourne mon café noir. Et au fin fond de mes pupilles, flotte le drapeau blanc. Les muscles qui se lachent, et les armes qui tombent, le sourire du vaincu. Avec l'imagination je serre mon père immense entre mes petits bras : La trève. Avec l'imagination je dis que je ne lui en veux pas, que je suis fatiguée. Qu'il faut se laisser vivre. Petite cuillère tourne mon café noir. Ma peau qui tremble, mes bras ballants, hissent le drapeau blanc. J'ai cru pendant longtemps qu'il fallait refuser, de se laisser couler dans la facilité. La passion frissonante des mots qui jiclent de chaque doigt, je ne croyais qu'en ça, la poésie violente, la douleur et le froid, parce que c'était joli et que ça sonnait bien. J'ai cru à la séparation, à tout ce qui est dur. Tous mes espoirs, je les avais mis là. Dans le meurtre et dans la folie, dans toutes les mauvaises choses que je rêvais de faire. Je pensais que ma plus grande force était mon sadisme et ma haine, et j'ai passé des nuits, tant de nuits. A rêver d'armes froides et de sang chaud, à tenter de mettre le doigt sur une sensation qu'on ne peut pas connaitre, à me créer des sueurs froides, à appeler le diable pour m'en faire un allié. Du haut de ma faiblesse, j'ai pensé que la force était ailleurs. Je n'ai jamais voulu être du côté des gentils, jamais. Mais j'ai toujours été du côté de ceux qui se sont faits baisé, sans faire exprés. J'ai pas aimé. J'ai cherché mille moyens de me pretendre libre, j'ai rêvé de massacre et de dictature, j'ai rêvé de fierté et d'orgueuil, je ne croyais qu'en ça. J'ai craché sur l'amour, dix fois, cent fois, sans toi. J'ai pas voulu y croire, je ne veux toujours pas. J'attendais d'être surprise, j'attends toujours je crois. Peu importe, on s'égare. Petite cuillère tourne café noir. Entre mes reins qui cherchent le roi, les hanches que je n'ai pas, les mots qui coulent sur mon visage, imperfection d'une peau qui se veut peau pourrie, et qui ne sent pas bon, granuleuse et mal polie. C'est l'Esthétique du pire, chérie. Regarde. C'est un squelette courbé, un sac d'os articulé couverts de muscles mous qui ne savent pas.. bander. Regarde. Poupée mal dessinée, ton plastique a brulé. Bon, mais ça n'est qu'une enveloppe. Peut-être trop.. timbrée. Qui sait qui peut savoir? Petite cuillère tourne café noir. Et se dissout dedans, quelques morceaux de drapeau blanc. Bon, je lève les yeux aux ciel. Bon. Dieu? Dieu il faut que tu m'écoutes. Je crois que c'est la première fois de ma vie que je te parles, et il faut que tu saches : Je te pardonne. J'ai toujours pardonné à ceux qui n'existaient pas. Bon. Ca, c'est fait. Petite cuillère tourne café noir. Plantée là comme je suis, les bras le long du corps, et la tête penchée comme pour scruter le vide, fatiguée. Vous entendez? Je rends les armes. Je fais la paix. J'avais cru à la poésie du Non, à l'efficacité du refus, de la distance, et de l'armure. Mais les convictions adulescentes naissantes ne durent pas assez, une silhouette s'arrète et puis on se surprend, à vouloir l'avaler et la garder pour soi, alors ça ne colle plus. Les principes qu'on avait, les grands discours sur la haine qui fait avancer, sur l'amour qui nous ralentie, on a plus le droit. Parce qu'on se rend compte qu'au delà du coca et de la piraterie, on est capable d'aimer. Mal, certes, mais aimer. Petite cuillère tourne café noir. Je vous pardonne. Vous, le passé, l'avenir, vous les enfoirés de ma vie, les salopes, les connards, les p'tites putes. Les ennemis, les amis, on a tous tellement de choses à se reprocher. Mais je vous pardonne. C'est detestable mais c'est ainsi, il faut avancer à présent, d'accord? Ca n'est pas de la gentillesse. Et je vous en prie, ne me dites pas que c'est de la faiblesse, je risquerais d'y croire. Mais petite cuillère ce soir, tourne mon café noir. Et j'ai creusé la terre, j'ai quitté le foyer. Planter les ongles beiges dans une terre noire, fuir la lave et la braise d'un noyeau qui nourrie mon cafard. Il fait peur ici bas, un peu trop peur pour moi. Je brise la glace à la framboise, je me rencontre et mon regard se croise. Fatiguée. Et je reste la seule que j'peux pas pardonner. Petite cuillère tourne café noir, sourire en bandoulière theière à l'abbatoire, juste se laisser faire, et apprendre à y croire.